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Théâtre
Damien Bouvet, focus réussi sur un artiste hors du commun
05 décembre 2019 | PAR Mathieu Dochtermann

Damien Bouvet (cie Voix-Off) est un artiste singulier, qui se nourrit de techniques de clown, d’un travail sur le geste et sur les objets, pour créer un univers déroutant, sensible, évocateur, à fleur d’émotion. Le Mouffetard – théâtre des arts de la marionnette à Paris lui consacre actuellement un focus, jusqu’au 18 janvier, et a programmé à cette occasion notamment Le poids d’un fantôme et Passage de l’Ange (en partenariat avec le Samovar de Bagnolet). Deux occasions de découvrir une expression artistique originale et dé(t/c)onnante, traversée d’une immense tendresse, de poésie et d’une naïveté désarmante.


Le poids d’un artiste

Damien Bouvet, c’est un acteur de formation classique qui a croisé le clown et Philippe Genty, qui a exploré les spectacles muets avant d’accepter de réintégrer le texte, qui a longtemps arpenté les territoires de l’imaginaire enfantin pour plonger plus directement dans les émotions et jouer avec l’essence même de ce qui fait l’humain. Un grand bonhomme à la voix grave, à l’oeil malicieux, au sourire facile. Un tonton bienveillant susceptible de se mettre en tutu avec un nez rouge à n’importe quel moment, pour mieux aller décrocher les étoiles.
L’univers artistique qu’il s’est construit n’est semblable à aucun autre. Il est avant toute chose très poétique et sensible : faisant fi de toute vraisemblance et de tout réalisme, il est une invitation immédiate et constante à dériver, à lâcher résolument la barre rassurante de la logique pour flotter sur les mers plus ou moins calmes des émotions primaires, celles qui nous traversent de 7 à 77 ans, et au-delà.
Cette expression artistique, elle va chasser sur beaucoup de terres, pour en rapporter à chaque fois le plus sensible, ce qui dit la fragilité et l’impermanence de l’être, mais aussi ce qui change, ce qui évolue, ce qui fait grandir, malgré les peurs et les inconforts. C’est, en somme, un théâtre de l’humain, qui va chercher si loin dans l’intime, en se cachant sous les parures de la légèreté et de la bouffonnerie, qu’il s’adresse virtuellement à tous les publics.


Fantômes poétiques et souvenirs sensibles
On peut aisément imaginer que Le poids d’un fantôme puisse s’adresser à un jeune public autant qu’à des adultes. Damien Bouvet y incarne un personnage très enfantin, avec une voix fluette, qui explique avec une bonne dose de naïveté comment il prend soin de ses fantômes. On comprend vite qu’il s’agit d’un propos sur le souvenir affectueux qui persiste après la disparition d’un proche : les fantômes, repassés, promenés, aérés, sont autant de manifestations sur scène du souvenir entretenu.
Damien Bouvet matérialise ces fantômes métaphoriques à l’aide de marionnettes de papier froissé, très peu figurative, propices à toutes les projections. Des coulisses de l’inconscient, d’étranges créatures se manifestent et dansent leur sarabande avant de s’éclipser. Le personnage clownesque est finalement interrompu par l’irruption de la voix de l’adulte, Damien Bouvet reprenant la voix de basse et le ton posé qui lui sont naturels pour remettre un peu d’ordre dans le discours très embrouillé du protagoniste.
Un spectacle échevelé, porté par une manipulation extrêmement fluide, comme évidente, et un jeu de clown très travaillé, notamment au niveau du masque. Il faut se laisser aller à la proposition pour en découvrir l’intérêt : ce dernier réside moins dans un sens à trouver, que dans le plaisir de joindre ses propres souvenirs à ceux évoqués sur scène, dans un environnement si peu cartésien qu’il offre toutes les libertés.

(...)

 

Un spectacle férocement drôle, mais également profond, qui touche à la substance dont est fait l’humain.
Un spectacle libre, qui touche d’autant plus profondément qu’il abolit la réalité.
Un grand artiste, à découvrir urgemment !